Européennes : les premiers enseignements du scrutin

Les élections européennes du 9 juin n’ont pas réellement rebattu les cartes au niveau du Parlement de Strasbourg, même si la montée des partis d’extrême droite combinée au recul des Verts et des centristes (les deux gagnants du scrutin précédent) rend l’hémicycle toujours un peu plus morcelé. L’avenir d’Ursula von der Leyen, candidate à un second mandat, n’est pas assuré. Les discussions vont maintenant démarrer pour constituer les groupes politiques et les commissions parlementaires. Notamment celle de l’Agriculture où plusieurs personnalités françaises influentes n’ont pas été réélues. Ce qui ne va pas manquer d’avoir des conséquences sur la manière dont l’agriculture française sera défendue à Bruxelles.
Le scrutin européen du 6 au 9 juin a rendu son verdict. Sans surprise, les projections consolidées au lendemain de l’élection dessinent les contours d’un hémicycle de plus en plus tourné vers sa droite, comme annoncé depuis plusieurs mois. Le groupe PPE (centre droit à droite) renforce son rang de plus important groupe politique du Parlement européen avec près de 189 sièges, en croissance (+12). Ses membres, les Allemands (environ 30 sièges), les Espagnols (22) et les Polonais (20) en tête, devraient être une nouvelle fois incontournables dans les négociations pour former une majorité. Les partenaires privilégiés devraient être les sociaux-démocrates, qui connaissent cependant une légère baisse de leur contingent (environ 135, -5) malgré des scores solides en Espagne (20) et en Italie (21) et, dans une moindre mesure, en France (13, +7). Autre groupe envisagé pour une coalition : les centristes-libéraux de Renew. Mais le faiseur de roi de la précédente législative va enregistrer un important déclin tant en nombre (79, -23) qu'en influence avec le recul des Français de Renaissance (-10) et la disparition des Espagnols de Ciudadanos (-8).
Un des faits marquants du scrutin est la progression des partis eurosceptiques et de l’extrême droite, qui siègent actuellement au sein des groupes ECR et ID (73 et 58), dont la poussée peut apparaître en théorie marginale. Toutefois, si ces groupes parvenaient à s’allier entre eux, comme certains dirigeants de ces partis le laissent penser, et avec une partie des nombreux eurodéputés non-inscrits ou sans affiliation (97), ils représenteraient une force politique susceptible de peser dans les débats à Strasbourg. À noter également, le fort recul des Verts (53, -18) et par extension, des ambitions initiales du Green Deal (voir encadré). Ces derniers pourraient néanmoins avoir un rôle à jouer afin d’asseoir une éventuelle majorité progressiste. D’un point de vue plus général, ces résultats provisoires semblent confirmer la tendance déjà observée d’un morcellement politique croissant de l’hémicycle strasbourgeois, où l’obtention d’une majorité dépendra du dossier traité.
Les contours de la future Comagri
Dans ce contexte, quel visage pour la future commission de l‘Agriculture du Parlement européen ? Plusieurs élus de la précédente mandature, notamment dans les rangs français, ne se représentaient pas ou n’ont pas été réélus. C’est le cas du centriste Jérémy Decerle – l’ancien président des Jeunes agriculteurs – dont la liste Renaissance ne recueille que 14,6 % des voix leur assurant seulement 13 élus. Il figurait en 14e place ! Même situation pour le Vert Benoît Biteau (vice-président de la Comagri) en 6e position de sa liste qui n’a obtenu que 5 sièges. Globalement, une perte d’influence française, sur les dossiers agricoles en particulier, est à prévoir : Anne Sander (LR), Irène Tolleret (Renaissance) ou encore Gilles Le Breton (RN) ne reviendront pas non plus. Le seul à conserver son siège est le socialiste Christophe Clergeau. Mais il y aura des nouveaux venus : Gilles Pennelle et l’agricultrice Valérie Deloge (RN) mais surtout Céline Imart (droite) qui constituera le principal (si ce n’est le seul) relais du secteur agricole français au sein de cette Comagri (voir encadré).
Moins de changement à prévoir dans les autres pays de l’UE. En Allemagne, les résultats assurent un siège à l’actuel président de la Comagri Norbert Lins (PPE). De même, en Italie, Herbert Dorfmann, coordinateur du groupe PPE sur les questions agricoles, valide sa place. D’autres élus du groupe devraient faire un nouveau mandat et postuleront à la Comagri : le Roumain Daniel Buda et l’agriculteur autrichien Alexander Bernhuber. L’Espagnole Esther Herranz Garcia, qui n’avait pas été réélue en 2019, va faire son retour au Parlement européen. Du côté des socialistes, le paysage est plus flou. L’Allemande Maria Noichl devrait faire un nouveau mandat mais des remplaçants vont devoir être trouvés à l’Italien Paolo De Castro, à l’Espagnole Clara Aguilera et à la Portugaise Isabel Carvalhais qui ne se représentaient pas. Au centre, le Tchèque Martin Hlaváček est réélu. Ce n’est pas le cas de l’ancien commissaire européen à l’Agriculture, le Roumain Dacian Cioloș, dont la liste n’a pas obtenu suffisamment de voix. L’agricultrice allemande Christine Singer, nouvellement élue, devrait rejoindre la Comagri en remplacement de sa compatriote Ulrike Muller. Nouveau venu dans le groupe : le Belge Benoît Cassard, éleveur et secrétaire national de la Fédération du commerce de bétail et de viande. Chez les conservateurs de l’ECR, le Néerlandais Bert-Jan Ruissen et la Tchèque Veronika Vrecionová pourraient faire leur retour en Comagri. Ils pourraient être rejoints par les deux élus du Mouvement agriculteurs-citooyens (BBB) des Pays-Bas, l’agriculteur Sander Smit et la spécialiste de l’élevage porcin Jessika van Leeuwen, même si le groupe au sein duquel ils siégeront n’est pas encore défini. Du côté des Verts, l’Allemand et chef de file de son groupe à la Comagri, Martin Häusling, rempile, de même que l’Autrichien Thomas Waitz. Mais avant de savoir qui siégera au sein de cette nouvelle Comagri, la première étape sera, d’ici à la première plénière du Parlement européen qui se tiendra du 15 au 19 juillet, d’en préciser le périmètre et le nombre d’élus, et désigner celui ou celle qui en assurera la présidence.
D’autres eurodéputés, notamment à la commission de l’Environnement (en fonction là encore de son périmètre d’action), auront aussi une influence non négligeable sur les questions touchant de près ou de loin à l’agriculture. Parmi les parlementaires qui ont été élus pour un nouveau mandat : le centriste français Pascal Canfin – président de la Comenvi –, la Verte luxembourgeoise Tilly Metz (très engagée sur les questions de bien-être animal) ou encore l’élue néerlandaise sur parti animaliste Anja Hazekamp qui siège avec la Gauche et la PPE suèdoise Jessica Polfjärd, rapporteure sur les NBT.
Le jour d’après
Place également aux grandes manœuvres en coulisses. Les groupes politiques doivent se constituer au cours des semaines à venir, notamment à la droite du PPE où des incertitudes demeurent. Ce n’est donc pas étonnant de constater que ECR et ID seront parmi les derniers groupes à tenir leur réunion constitutive (respectivement le 26 juin et le 3 juillet).
Le gros chantier suivant sera la nomination par les chefs d’État et de gouvernement du candidat à la tête de la Commission européenne. Pour l’heure et à la lecture des résultats consolidés, l’actuelle résidente du Berlaymont et candidate désignée du PPE, Ursula von der Leyen, fait figure de favorite. La réunion du G7 en Italie du 13 au 15 juin devrait permettre aux principaux leaders européens d’aborder le sujet avant que l’ensemble du Conseil européen, lors d’une réunion informelle le 17 juin, n’entame des discussions plus ou moins formelles. L’objectif sera de dégager le candidat idoine qui pourra obtenir le blanc-seing lors du sommet européen des 27 et 28 juin, en même temps que les autres postes clefs des institutions de l’UE. Toutefois, au Parlement européen, qui doit donner son aval, le morcellement politique rend l’obtention d’une majorité pour le prochain candidat à la tête de l’exécutif européen – qu’il s’agisse de la candidate du PPE ou non – à ce stade, incertaine. Un premier élément de réponse devrait être connu le 18 juillet, date envisagée pour le vote à Strasbourg.
Au-delà du poste de président de la Commission européenne, d’autres fonctions sont également en jeu dans ce mercato politique européen. Pour l’heure, si différents noms circulent, comme ceux des anciens premiers ministres, Antonio Costa (Portugal) en remplacement de Charles Michel au Conseil Européen, ou Kaja Kallas (Estonie) à la tête de la diplomatie européenne, rien n’est encore acté. Le sommet européen de fin juin devrait également apporter des réponses. De son côté, la Maltaise Roberta Metsola pourrait repartir pour un second mandat à la tête du Parlement européen.
Concernant le reste du Collège des commissaires, la composition et les fonctions de chacun dépendront des équilibres entre les Vingt-Sept. Si à l’agriculture, le nom de l’Italien Francesco Lollobrigida, actuel ministre de son pays et beau-frère de Giorgia Meloni, a été murmuré, Manfred Weber, le patron des eurodéputés PPE a visiblement d’autres plans. Après cinq années compliquées avec le conservateur polonais Janusz Wojciechowski, le PPE, autoproclamé parti des agriculteurs durant la campagne électorale, souhaite remettre la main sur le portefeuille agricole. « Je n’accepterai pas que le poste de commissaire à l’Agriculture revienne à un autre parti », a-t-il d’ailleurs indiqué au Financial Times le 12 juin.
Céline Imart rétropédale
Départ raté pour la tête d’affiche agricole de la liste Les Républicains. Tout juste élue eurodéputée, la céréalière Céline Imart (2e position de la liste) avait apporté son « soutien total à Eric Ciotti », le président des Républicains, qui avait annoncé quelques minutes auparavant vouloir faire alliance avec le Rassemblement national en vue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet. Une décision largement critiquée dans son camp mais aussi dans le secteur agricole français (notamment de l’élevage) qui regrette déjà le départ d’Anne Sander, de Jérémy Decerle ou d’Irène Tolleret, leurs principaux relais au Parlement européen lors de la précédente mandature. Des membres allemands du PPE ont même menacé d’exclure de leur groupe les eurodéputés faisant alliance avec le RN. Finalement à l’issue d’une journée rocambolesque qui a vu l’ensemble des poids lourds des Républicains désavouer l’initiative de leur président de s’allier au RN, Céline Imart a annoncé le 12 juin rentrer dans le rang. Dans un communiqué, elle fait son mea culpa, déplorant « une séquence qui a pu brouiller les messages ». « Place maintenant pour moi à l’exercice de mon mandat d’eurodéputé au côté de la délégation française du groupe PPE », conclut-elle. Cet épisode pourrait encore affaiblir la délégation française déjà assez isolée au sein du groupe PPE de par son faible nombre d’élus (6) mais aussi du fait de la fronde qu’elle mène depuis des semaines contre la nomination d’Ursula von der Leyen, désignée comme la « candidate de Macron » alors qu’elle est en réalité la candidate du PPE.
Green deal : un avenir en suspens
Les mesures environnementales du Green deal et de sa stratégie De la ferme à la table ont attiré les critiques du secteur agricole et des partis politiques de droite lors de la campagne des élections européennes. Pourtant, en matière agricole au final, très peu de textes du Green deal ont abouti lors de la précédente mandature. Que ce soit le règlement Pesticides, la législation sur le bien-être animal ou la loi sur les systèmes alimentaires durable, tous ont été abandonnés ou reportés. La poussée des partis d’extrême droite pourrait sceller les ambitions environnementales de l’UE. Dans une analyse publiée le 10 juin, le think tank Farm Europe estime toutefois que l’avenir du Green deal n’est pas complètement bouché. « À l’exception des partis de la droite radicale, personne ne remet en cause la réglementation actuelle, mais plutôt la nécessité de ne pas ajouter à l’avenir une surcharge bureaucratique », souligne Farm Europe qui a épluché le programme des principales listes nationales. Dans le détail : « Le SPD allemand, comme les partis socialistes français et italien, appellent à la poursuite de la mise en œuvre du Green Deal et à la traduction de ses ambitions en réglementations. Le parti socialiste espagnol est plus prudent dans les formulations, tout comme la plupart des autres forces politiques du centre et de droite, qui préfèrent éviter les mots qui fâchent et se concentrer sur des questions plus spécifiques ».
Commission européenne : Dombrovskis rempile, Sinkevicius devrait s’en aller
L’un reste, l’autre part. L’actuel vice-président exécutif de la Commission européenne Valdis Dombrovskis a été officiellement désigné le 11 juin, par la première ministre lettone Evika Silina, comme prochain commissaire de son pays. Lui-même ancien homme fort de Riga, il est en poste à Bruxelles depuis 2014 et assure notamment la charge de la politique commerciale de l’UE depuis 2020 à la suite du départ forcé de l’ancien commissaire irlandais à l’Agriculture Phil Hogan. Son parti, issu des rangs du PPE et pour lequel il était chef de fil, a obtenu, selon les premières estimations, environ 25 % des suffrages et deux eurodéputés. De son côté, le commissaire à l’Environnement, le Lituanien Viginijus Sinkevicius devrait prochainement démissionner de son poste afin d’intégrer le Parlement européen en tant que député. Son parti, l’union lituanienne agraire et des verts (Verts), a obtenu un siège dans le nouvel hémicycle. Plus jeune responsable politique à occuper un tel poste, il avait au cours de son mandat porté certains dossiers majeurs comme la révision du règlement sur les émissions industrielles et la proposition de règlement sur la restauration de la nature, en attente de validation du Conseil de l’UE. Les deux autres commissaires actuellement en poste et élues devraient elles aussi siéger au Parlement européen lors de la prochaine mandature.