Martin d’Archimbaud (GreenPods) : « L’agriculture régénératrice couplée aux nouvelles technologies permettra de relocaliser la production de fruits à coques »
En lançant GreenPods, Martin d’Archimbaud et Boris Spassky, tous deux passés pas le fonds à impact Mirova, font le pari qu’il est possible de relocaliser en France la production d’amandes biologiques, dont les Etats-Unis sont les principaux producteurs. Mais à condition de trouver les bons terroirs, d’aménager les terres, de sélectionner les bonnes variétés et de s’entourer des technologies dernier cri pour produire selon les principes de l’agriculture régénératrice. En travaillant en étroite collaboration avec le fonds Maif Transition et les start-up telles que Weenat, Genesis, Biosphères et Telaqua, les deux associés ont réalisé un premier projet agricole près de Toulouse, et s’apprêtent à lancer une deuxième ferme en Espagne. Dans les prochains mois, la start-up prévoit de nouveaux projets agricoles financés par une deuxième levée de fonds finalisée d’ici fin 2023. Le point avec Martin d’Archimbaud, ingénieur agronome et cofondateur de GreenPods.
Où en est votre premier projet d’agriculture régénératrice ?
Nous exploitons une ferme de 150 hectares près de Toulouse, La Granja, sur lequel nous avons planté 64 hectares d’amandiers. Nous cultivons aussi des protéagineux en plein champs, et nous allons convertir 20 hectares en agrivoltaïsme de manière à associer production d’électricité et cultures annuelles comme des céréales et des protéagineux. Enfin, nous réfléchissons aussi à planter des noyers sur 40 hectares.
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En quoi votre démarche est-elle très différente de celle d’un agriculteur conventionnel ?
Nous nous définissons comme un développeur agricole intégré se fixant pour mission de relocaliser la production de protéines végétales selon les principes de l’agroécologie et en s’appuyant sur les dernières technologies. Nous apportons un très grand soin à chaque étape de notre développement, en sélectionnant rigoureusement les exploitations qui peuvent accueillir notre projet. Ce travail en amont nécessite de vérifier de très nombreux points clés qui conditionneront le succès de l’opération comme la nature des sols, les données climatiques, l’accès à l’eau, le potentiel rendement ou encore les variétés adaptées en fonction de chaque parcelle. Nous estimons tous les investissements à réaliser pour adapter les parcelles, et c’est ce que nous avons fait à La Granja, exploitation initialement consacrée à la culture intensive de céréales, désormais convertie à l’agriculture régénératrice.
Comment allez-vous commercialiser votre production ?
Les études de marché que nous réalisons ont identifié une demande qui n’est pas satisfaite aujourd’hui, celle de grands industriels qui recherchent des fruits à coques cultivés selon les principes de l’agriculture régénératrice, pouvant présenter une traçabilité parfaite, et produits près des lieux de transformation et de consommation. Or il faut savoir que 80% des amandes produites dans le monde le sont aux États-Unis, selon des pratiques intensives, et donc très loin des lieux de consommation, notamment l’Europe qui importe beaucoup d’amandes. L’Espagne est le 3e producteur, mais les volumes sont insuffisants pour l’Europe, et la traçabilité n’a pas toujours été exemplaire. Plus généralement, les consommateurs européens recherchent de plus en plus des fruits à coques pour leur apport nutritif et notamment comme source de protéines dans le cadre de régimes alimentaires moins carnés et lactés. Cet arbre a un intérêt agronomique et environnemental car il nécessite peu d’eau et résiste bien aux maladies.
Comment vous êtes-vous assurés que votre projet trouvera son équilibre économique ?
Plusieurs sources de chiffre d’affaires sont envisagées sur la ferme de La Granja. Outre la vente des amandes, 80 à 100 tonnes par an, qui interviendra suite à la première véritable récolte en 2025, nous pouvons d’ores et déjà compter sur la vente des crédits carbones générés par notre production selon les principes de l’agriculture régénératrice. Nous allons ainsi séquestrer 4575 tonnes de Co2 sur 25 ans, et la vente de 25% de ces crédits représente déjà un chiffre d’affaires de 100 000 euros. Nous pouvons aussi compter sur la vente des céréales et oléo-protéagineux.
Autre point important : nous avons la chance d’être en concurrence avec les États-Unis et l’Australie, où les coûts de production de l’amande sont comparables à ceux de l’Europe, ce qui rend possible notre projet.
Comment mettez-vous en œuvre les principes de l’agriculture régénératrice ?
Ce concept consiste à adopter une approche holistique de la conduite de l’exploitation, qui prend en compte les pratiques culturales, bannit le recours aux pesticides, adopte par exemple des couverts végétaux et se préoccupe de préserver et développer la biodiversité. Notre verger d’amandiers de La Granja est la première exploitation française labellisée Regenagri, un label britannique, et le plus grand verger à obtenir le Label Bas Carbone du gouvernement. Nous avons aussi obtenu la certification biologique. C’est donc un moyen de préserver l’environnement, pérenniser nos cultures et aussi mieux valoriser les produits auprès des clients. Il faut aussi s’appuyer sur les toutes dernières innovations agricoles, et c’est pourquoi nous travaillons avec plusieurs start-up partenaires comme Biosphères pour l’accompagnement technique et agronomique, Genesis pour le diagnostic et la notation des sols, Weenat pour ses stations météorologiques connectes et Telaqua pour l’irrigation pilotée. L’agriculture régénératrice couplée aux nouvelles technologies permettra ainsi de relocaliser la production de fruits à coques.
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Quelles sont les prochaines étapes du développement de GreenPods ?
La Granja, qui fait office de projet pilote, a connu ses premières plantations d’amandiers en février 2022, et l’été 2025 marquera la première véritable récolte. Mais sans attendre, nous avons déjà identifié une ferme de 150 hectares de l’autre côté des Pyrénées, en Aragon, dans la vallée de l’Ebre, et qui sera une ferme jumelle de La Granja. L’idée est donc de dupliquer le modèle et de démontrer notre capacité à opérer des fermes en agriculture régénératrice en France comme en Espagne. Dans les 24 à 36 prochains mois, nous souhaitons concrétiser 5 à 10 projets pour un total de 2000 hectares. Nous pourrons alors commercialiser environ 4000 tonnes d’amandes par an et ainsi être en mesure de répondre aux volumes conséquents recherchés par des industriels de l’agroalimentaire.
En termes de fruits à coques, nous travaillons sur un verger de noyers, et regardons de près comment nous pourrions nous lancer dans la production de pistaches.
Comment financez-vous le développement de GreenPods ?
Le foncier est un élément très important dans chaque projet. Pour La Granja, nous nous sommes appuyés sur le fonds à impact Maif Transition qui a acquis le foncier pour 3 millions d’euros et nous l’a confié en location avec un bail de 25 ans. Nous avons ensuite levé 2,5 millions d’euros en mai 2021 pour financer les plantations, les aménagements, les bâtiments et le BFR : 1 million d’euros sous forme de capital auprès d’investisseurs parmi lesquels Laurent Deltour, co-fondateur de Sycomore Asset Management, Michel de Rovira, co-fondateur de Michel & Augustin et Julia Perroux, co-fondatrice de Good Goût, et 1,5 million d’euros en dette auprès du Crédit Agricole et de la Banque Populaire. L’opération est assez capitalistique car les coûts d’aménagement des terres et de plantation des amandiers sont de l’ordre de 15000 à 20000 euros par hectare, et l’arbre ne produit qu’au bout de 3 ans (les rendements sont progressifs).
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Le projet en Espagne sera entièrement financé par GreenPods, foncier compris. Nous préférons cette formule qui nous permet de maîtriser la période au-delà des 25 ans de bail, qui peut s’avérer délicate en termes de valorisation des investissement réalisés. Les noyers que nous envisageons de planter ont une durée de vie de plus de 50 ans, et le même problème se pose pour les pistachiers qui produisent pendant parfois plus de 80 ans.
Nous avons des besoins de financement pour les projets à venir et c’est pourquoi nous finalisons fin 2023 une levée de fonds de 6 millions d’euros auprès de personnes physiques, qui servira de levier pour contracter des emprunts par la suite.