Génétique du maïs : la peur du décrochage

Cela fait trente ans que les États-Unis cultivent des OGM, et un peu plus de vingt-cinq que la France s’y refuse, au grand dam de nombreux maïsiculteurs, qui craignent qu’un fossé se creuse entre les deux rives de l’Atlantique. Pour l’heure, les effets sont limités. Les OGM ne semblent pas avoir accru significativement les différences de rendements avec les fermes européennes. Ils ont pu améliorer la qualité sanitaire des grains, mais surtout faciliter le travail des farmers américains. Pourtant, depuis 2017, les rendements européens semblent décrocher des États-Unis, moins sujets aux aléas – une tendance à confirmer et à investiguer. A priori, l'évolution génétique ne serait pas en cause, selon les sélectionneurs, qui rappellent les différences d’environnements climatique et réglementaire. Ce qui n’exclut pas qu’elle le devienne demain. Dans un monde de plus en plus touché par les sécheresses, la transgénèse n’est, certes, pas la mieux placée pour faire face à ce problème présenté comme polygénique. Mais des recherches sont en cours chez les principaux semenciers, en OGM, en NBT, comme en sélection conventionnelle, qui promettent des avancées d’ici quelques années.
Cela fait trente ans que les États-Unis ont autorisé la culture des premières plantes génétiquement modifiées. Suivies deux ans plus tard par les premiers maïs résistants aux insectes, dits Bt. Aujourd’hui 94 % de la sole américaine de maïs est OGM, selon les autorités. L’interdiction rapide de ces variétés en France a fait craindre aux professionnels qu’un fossé génétique se créerait entre les deux continents – d’autant qu’ils voyaient presque l’ensemble des farmers américains adopter ces nouvelles variétés.
À la tête de la contestation, les maïsiculteurs de l’AGPM (association spécialisée de la FNSEA) sont allés en justice pour défendre le Mon810. En vain. Ils demandaient encore récemment de pouvoir utiliser des maïs issus de nouvelles biotechnologies (NBT). Avaient-ils raison de s’inquiéter, d’hier à aujourd’hui ? À première vue, on pourrait le croire. La part de la France dans les exportations mondiales n’a cessé de se dégrader depuis 2004, passant de 10 % en 2004 à un peu plus de 2 % en 2019. Sa surface s’est réduite de 500 000 hectares depuis dix ans, à 2,5 Mha en 2023.
Mais pour savoir quel rôle précis ont joué les OGM et la génétique dans cette tendance, il faut se plonger dans la littérature scientifique. Dans l’idéal, il faudrait pouvoir isoler les performances des cultures en dehors de l’effet de l’environnement, très variable des deux côtés de l’Atlantique : c’est ce que les chercheurs appellent l’enviro-typage. Une méthode qui permet de comparer les génétiques à conditions égales (sol, climat, pratiques).
Malheureusement, « il n’existe pas d’étude d’envirotypage à l’échelle mondiale, qui permette d’isoler les performances des variétés de maïs », explique Boris Parent, chercheur à l’Inrae, spécialiste des interactions entre génotype et environnement.
Pour comprendre le rôle des OGM, il faut s’en remettre à des études d’économie, en n’oubliant pas leurs limites. Beaucoup d’études existent à l’échelle des parcelles ou d’exploitations - en 2006, Arvalis avait observé un gain moyen de 9,2 q/ha avec le maïs Bt sur ses parcelles d'essai. Les plus fiables visent de plus vastes échelles, comparant les évolutions de rendements rééls entre un maximum de pays possible, selon qu’ils cultivent ou non des OGM, pour tenter de dégager des tendances.
Pas d'écart statistique en maïs pour l’UE
Les dernières études tendent plutôt à dire que les apports des cultures OGM sont faibles ou nuls dans les pays riches à climat tempéré, et assez importants dans les pays pauvres à climat tropical. Autrement dit, l’introduction des OGM aurait un effet relativement faible en Europe et fort en Afrique.
« Cela ne veut pas dire que les OGM n’augmenteraient les rendements en Europe, mais les effets seraient beaucoup plus faibles que dans les pays du sud, en raison des conditions climatiques et de méthodes alternatives plus accessibles dans les pays du nord », explique Matin Qaim, professeur d’économie agricole à l’université de Bonn.
Dans le cas particulier du maïs (et du soja), le fossé avec l’UE est même inexistant selon ces statistiques. La dernière étude en date a été publiée dans la revue d’économie américaine AER en 2023 (1). Elle conclut que, sur 1996-2016, les effets attendus des maïs OGM seraient nuls sur les rendements pour des zones comparables aux États-Unis comme l’Union européenne. Ils sont en revanche importants en coton.
En effet, en maïs, la plupart des modifications génétiques portent sur les résistances aux herbicides et aux insectes, rappellent les chercheurs. Or ces résistances augmentent surtout les rendements en cas de pression des insectes ou des mauvaises herbes, et dans des pays dépourvus de solutions de lutte, ce qui n’est pas (encore) le cas en Europe.
UE-USA, deux mondes
Des études qui mettent de côté les écarts à l’intérieur même de l’Europe, et la question de la qualité sanitaire des grains, souligne Rémy Merceron, chef produit maïs chez KWS : « C’est un point très important qui rend parfois les exportations ou la transformation difficile car le seuil des mycotoxines est régulièrement dépassé à la récolte. Il y a encore 50 000 ha de maïs Bt en Espagne pour ces raisons. »
Ce qui séduit les agriculteurs américains, c’est surtout le confort d’utilisation que procurent les maïs OGM, explique François-Xavier Larrouy, en charge du grand export chez Lidea – issue de la fusion d’Euralis semences et Caussade : « Les OGM permettent d’assurer l’efficacité du désherbage, de simplifier le travail. »
Attention toutefois : ces études ne portent pas sur la période récente – elles s’arrêtent en 2016, et en sélection génétique, les choses peuvent aller vite. Or, lors du dernier congrès européen du maïs, le cabinet Agritel a souligné que les rendements français semblaient décrocher du continent américain depuis 2017 (voir le graphique) – une tendance à suivre sur les prochaines années.
La filière maïsicole française commence-t-elle finalement à pâtir de son rejet des OGM ? C’est l’analyse qui fut suggérée lors du congrès. Mais attention : la comparaison entre les deux continents n’est pas aussi facile qu’elle en a l’air, beaucoup de facteurs peuvent varier en dehors de la génétique : le climat, les sols, mais aussi les pratiques culturales (rotations, intrants, interventions…) et les politiques publiques..
Aides publiques et engrais
« On est sur deux modèles complètement différents, sans élément pivot », explique Rémy Merceron chez KWS. Rappelons par exemple qu’aux États-Unis, les engrais ne subissent toujours pas de limitation d’usage – si bien que la moyenne américaine est autour de 180-220 kg/ha, contre 140-180 en France. Or ces écarts ont pu se creuser avec le renchérissement des engrais azotés en Europe depuis 2021.
Autre changement sur la période : les aides publiques. Les États-Unis ont renforcé les aides contracycliques en maïs sur la dernière décennie, tandis qu’en Europe les aides Pac attribuées au secteur végétal déclinent tendanciellement depuis le bilan de santé de la Pac de 2010.
Résultat : « La logique économique est très différente entre le Corn Belt, où la rentabilité est très bonne et les farmers maximisent les rendements – et l’Europe où le découplage des aides Pac ne pousse pas à aller chercher les derniers quintaux et incite plutôt à une logique de rentabilité économique, notamment en zones de culture intermédiaires », constate François-Xavier Larrouy, de Lidea.
À ce tableau, il faut ajouter le changement climatique, dont l’évolution est très contrastée selon les zones géographiques – le récent lancement d’un plan « pour l’agriculture méditerranéenne » est là pour le rappeler. Et les restrictions d’eau pour l’irrigation sont très dépendantes des contextes locaux. Ou encore les pesticides, avec la récente interdiction du S-métolachlore.
Chantier sécheresse
Malgré tout, la question mérite d’être posée : les rendements des maïs américains seraient-ils devenus moins sensibles à la sécheresse, comme pourrait le suggérer leur stabilité ces dernières années ? L’avenir nous le dira, qui confirmera ou non la tendance. Si c’est tel est le cas, ce n’est pas (encore) affaire de génétique, estime Boris Parent, et avec lui la plupart des experts interrogés : « Je n’ai pas les données pour le dire de manière objective ; mais il n’y a pas de différence actuellement sur la cible spécifique sécheresse ».
Le chercheur français rappelle que « la sélection est partagée des deux côtés de l’Atlantique. Même si au niveau commercial, tout est séparé, le matériel génétique est commun des deux côtés de l’Atlantique ». Un constat à nuancer lorsque l'on évoque des semenciers très européens, comme KWS – y précise-t-on –, et surtout des caractères obtenus par transgénèse. Du côté des OGM, les experts interrogés ne perçoivent pas d’avancée dans le domaine de la résistance à la sécheresse.
« Autant que je sache, il n’y a rien provenant des OGM qui a contribué à la résistance des maïs à la sécheresse aux États-Unis », assure Michael Lee, spécialiste de la génétique du maïs à l’université de l’Etat d’Iowa.
Un problème multigénique
Même constat chez Bayer. « Aujourd’hui il n’y a pas de différence entre OGM et maïs conventionnel sur la partie sécheresse et gestion du stress », estime Guillaume Chancrin, responsable marketing du maïs en France pour le semencier allemand, leader du marché.
En matière de sécheresse, les OGM et les NBT sont sur les rangs pour apporter des solutions, mais pas forcément les mieux placés. « La résistance à la sécheresse est souvent multigénique », rappelle Guillaume Chancrin. « On avait rêvé de mettre des germplasms de sorgho dans le maïs, mais c’est plus compliqué que ça, étaye François-Xavier Larrouy, chez Lidea. Il s’agit plutôt d’activer des mécanismes de self-défense, mais cela impacte les rendements. Il n’y a pas de miracle. »
Pour le sélectionneur de KWS Antoine Vincent, les OGM ne sont d’ailleurs pas la panacée dans le monde de la sélection : « Il faut plutôt croire à la sélection génomique, qui permet d’éclairer le génome sur des milliers de marqueurs, qui chacun ont une petite influence. » Elle est accélérée depuis le séquençage du génome du maïs en 2008, et bénéficie à tous les modes de sélection.
Des variétés tolérantes à la sécheresse sont bel et bien attendues dans les deux à trois ans en grandes cultures, avec des promesses fortes des semenciers. « Depuis une dizaine d’années, la recherche s'accélère sur la tolérance à la sécheresse aussi bien en GM que non GM, explique Boris Parent. Mais ce n’est pas encore sur le marché. »
Soja en premier, maïs ensuite
Des variétés labellisées « sécheresse », il en existe déjà actuellement sur le marché, mais elles représentent moins un effort de sélection sur ce critère, qu’une segmentation du catalogue existant, expliquent les experts interrogés. « Les gains se font déjà sentir ces dernières années, avec des gains plus importants en bas potentiel », indique Rémy Merceron chez KWS. Mais les résultats de la sélection sur la sécheresse restent encore largement à venir - et nul ne connaît encore leur ampleur.
Les premières variétés de « nouvelle génération » devraient sortir d’ici un à deux ans en soja, une plante autogame homozygote où l’apport des NBT semble plus direct qu’en maïs. « Dans la sélection du maïs, le rendement tient beaucoup à l’effet heterosis, c’est plus compliqué », explique François-Xavier Larrouy.
Les OGM et les NBT pourraient être de la partie. « Il y a de vraies cibles transgéniques pour la sécheresse, croit savoir Boris Parent, au vu de la littérature produite par les semences. Mais ce matériel, nous ne l’avons pas encore ». Guillaume Chancrin Bayer confirme : « Il y a encore des travaux sur la partie OGM pour coder une résistance à la sécheresse. La partie résistance à la sécheresse est un axe fort de la sélection en OGM et classique. »
Parmi les variétés à l’essai, les variétés courtes Preceon – disponibles en conventionnel et en OGM : « On imagine que ce sont des variétés qui vont permettre d’aller chercher d’autres bénéfices, en termes de gestion de l’eau, mais c’est à l’état de recherche.»
«Si l’Europe continue d’interdire les NBT, il est probable que les hausses de rendements soient plus faibles que là où elles seront autorisées », résume Matin Qaim, de l’université de Bonn. Probable mais pas écrit d’avance.